Ils veulent me parler... et je ne les comprends pas !...

Au fil de nos rencontres - Témoignage de bénévole

Monsieur A. garde un beau visage encore lisse au regard vif, mais sa dépendance physique et matérielle est maintenant totale. Handicapé par la polio dans sa jeunesse, il m’a dit, au cours de nos rencontres, la fierté et les joies de sa vie de couple et de père de famille, mais aussi les responsabilités professionnelles qu’il a assumées à force de volonté et de courage. Avec une infinie gratitude il m’a expliqué les sacrifices de son père pour le faire soigner mais aussi les souffrances endurées dans son enfance.

Ainsi Monsieur A est un conteur. Il n’est pas dans la plainte mais bien plutôt dans la gratitude pour ce que la vie lui a accordé.
Pourtant, de plus en plus souvent et de plus en plus fort, les mots se bousculent dans sa bouche. Il s’en agace et souffre de ne plus pouvoir se faire comprendre.
Quand nous pouvons encore véritablement échanger, ces moments sont du bonheur pour nous deux. Dans les moments contraires, je tente de l’écouter avec suffisamment de bienveillance pour qu’il sente l’intérêt que je lui porte afin qu’il continue à s’exprimer. Hélas, quand manifestement à tel moment de notre conversation il attend de ma part une réponse que je ne peux lui donner, je suis obligée d’avouer : « Aujourd’hui, je ne comprends pas ce que vous voulez me dire »... Tristesse et frustration partagées.
Les visites régulières des proches de Monsieur A sont bien sûr dégradées par cette évolution. Cet homme d’échange en souffre beaucoup et vit de plus en plus mal ces frustrations.
Récemment, il a eu un vrai bonheur de fêter ses 90 ans en famille, mais le lendemain, il m’a dit qu’il se sentait maintenant prêt pour mourir. « Je voudrais que ça s’arrête ; ça serait bien pour moi et pour les autres »

Madame B., victime d’un AVC, s’est trouvée, brutalement et précocement, privée en grande partie de sa mobilité et d’une parole audible.
Dans ses moments de désespoir, ses larmes silencieuses me touchent profondément mais semblent la gêner. Je perçois bien sa révolte contre son existence ainsi limitée.
Dans d’autres temps de rencontre, sa colère rentrée édifie comme un mur entre elle et moi quand elle tente de me parler et que je ne la comprends pas. Par ailleurs, elle rejette un simple temps de présence silencieuse auprès d’elle qui semble, plus que toute autre situation, faire monter sa souffrance.
Par contre, elle accueille avec une certaine douceur un simple bonjour chaleureux de ma part, en ne m’attardant pas, afin d’éviter de la replonger dans la douleur que suscite cette impossibilité de communiquer.
C’est encore bien difficile pour moi, d’ECOUTER ce que je ne sais pas entendre….